Jennifer Ramos est infirmière à l’Unité d’oncologie et hématologie pédiatrique (UOHP) des HUG, certifiée en oncologie et soins palliatifs. Elle travaille à mi-temps dans l’unité et en parallèle est la référente des soins palliatifs pour l UOHP, ce qui représente 30% d’activité. Joviale et si bienveillante, elle nous raconte son quotidien.
Quel est le rôle d’une infirmière en soins palliatifs pédiatriques ?
Jennifer Ramos : Dans le cadre de mon rôle de référente en soins palliatifs, je suis des jeunes patients hospitalisés dont le pronostic vital est engagé, quand leur maladie est tellement grave, voire incurable. Je connais bien les leucémies et leurs effets, par exemple, mais j’ignore comment chaque être et sa famille vont vivre avec la maladie et la traverser. Chacun a sa boite à outils d’astuces pour survivre du mieux possible à un tel tsunami. Avec humilité, j’accompagne les familles et les aide à rechercher ce qui est essentiel pour eux. Les soins palliatifs, c’est améliorer l’existence d’un patient là, maintenant. Pour ce faire, il est impératif de se soucier et de soulager les symptômes que présente l’enfant. En parallèle des soins somatiques, il est important de chercher à améliorer la qualité de vie de l’enfant et de son entourage. Lorsque l’enfant pourra rentrer à la maison, tout sera mis en place pour améliorer son quotidien, pour que ses souhaits et envies soient respectés au-delà du curatif. Quand on ne peut pas rajouter des jours à la vie on rajoute de la vie aux jours qui restent…
La mort, c’est ce qu’évoquent les soins palliatifs…
J.R.: A tort ! Dans l’expression fin de vie, il y a « vie », on a tendance à l’oublier. Notre unité est axé sur l’humain, le confort, le plaisir. Le soin palliatif consiste à s’occuper du bien être au quotidien qui est mis à mal par une maladie et les symptômes qui en découlent. Le terme palliatif est souvent rapporté au 3ème âge mais pas à la pédiatrie. Aux familles, je me présente comme infirmière de soins de confort pour ne pas les angoisser à cause des idées reçues qui circulent. Malheureusement, le mot palliatif est connoté et évoque la fin de vie dans les esprits. Pourtant certains patients qui avaient de très mauvais pronostics vitaux après des effets secondaires d’une greffe, par exemple, s’en sont remis. Aujourd’hui ils vont très bien et nous avons arrêté le suivi «palliatif». Il y a toujours de l’espoir.
Qu’est-ce qui différencie un soin infirmier palliatif d’un classique ?
J.R.: Le temps… c’est le maître mot du métier. Nous nous devons de prendre le temps, d’être entouré d’une équipe solidaire. Avec un nouveau patient qui vient d’être diagnostiqué d’un cancer, on doit prendre du temps. Quand un infirmier est en chambre avec ce type de patient, les collègues avancent d’autres tâches pour lui permettre de prendre le temps de répondre aux questions sereinement. Quand on pose un cathéter à un enfant, s’il faut 30 minutes pour le mettre en condition et limiter les traumas, on prendra ce temps crucial de relation. La nuit aussi, on parle, on répond aux parents parfois jusqu’à 2 heures du matin. C’est un besoin, ils doivent vider leurs sacs. Pour moi, cette écoute et cet accompagnement font partie du travail d’infirmier en soins palliatifs mais aussi dans une unité d’oncologie et hématologie pédiatrique avec tous les patients que nous rencontrons.
Qu’est-ce qui motive à s’engager dans ce domaine ?
J.R.:Notre unité peut faire peur alors que c’est précisément là où les patients sont parmi les plus « en vie » de l’hôpital. À l’Unité d’oncologie et d’hématologie pédiatrique, les enfants nous connaissent, certains parents nous ont surnommé les tatas, les tontons. Ils nous attendent, car on rigole beaucoup avec eux. On danse souvent, on met de la musique en faisant la toilette, en faisant de la physio, on essaye d’amener la joie. Plus les journées sont difficiles plus il y a de pression, plus on tente de lâcher les soupapes et rigoler. À la différence d’un adulte bien conscient de ce qui lui arrive et souvent déprimé, un enfant n’est pas plombé par cette conscience. Il reste dans la vie. Dès qu’il est 3 minutes sans fièvre, il veut bouger, sauter, il veut vivre justement.
La souffrance des parents face à celle de leur enfant doit être inimaginable…
J.R.: La pédiatrie englobe autant les soins aux enfants qu’aux parents et familles. Les parents n’adhèrent pas si l’enfant ne nous aime pas et si les parents ne nous font pas confiance l’enfant ressent des bad vibes. Il y a une relation de triangulation entre nous trois. Les parents sont entièrement dévoués auprès de leur enfant, il faut parfois leur rappeler de manger car ils s’oublient entièrement. Lorsque la maladie ne répond pas au traitement, certains parents recherchent tous azimuts les meilleures études aux États-Unis, les traitements expérimentaux les plus prometteurs, etc…Ils sont animés par cet espoir de sauver leur enfant à tout prix. À mesure que l’état de santé se péjore, les parents se reconcentrent sur l’enfant, ils veulent que la souffrance physique s’arrête. C’est ce qu’il y a de pire : voir son enfant souffrir en étant incapable de le soulager, sans perspective de guérison. Le suivi régulier des enfants et familles est important pour ne pas laisser une souffrance physique ou morale s’installer. L’importance ici est de travailler avec l’équipe interdisciplinaire (physiothérapeutes, aumôniers, pédopsychiatres…) pour permettre la prise en charge la plus adaptée à chaque situation grâce au groupe de soins palliatifs pédiatrique (GPS) de l’UOHP crée en 2007.
Les fratries sont aussi souvent oubliées…
J.R.: Souvent les frères et sœurs sont mis de côté, les parents passent leur temps au chevet de l’enfants malade à l’hôpital en confiant la garde de la fratrie à la famille proche. Ils vont au plus urgent et tout le monde souffre énormément. Voilà pourquoi le soutien pour les familles au complet est fondamental. Les parents sont pris dans un étau de culpabilité, parfois même envers leurs employeurs quand ils ne vont pas travailler, pour soutenir leur enfant.
Quels aspects sont les plus difficile à gérer dans ce métier ?
J.R.: Le plus difficile est d’assister à la souffrance sans trouver le moyen curatif de la soulager durablement, dans certaines pathologies. Au niveau infirmier, notre mission est de soulager, idéalement. Quand on essaye un traitement qui ne marche pas, que la douleur subsiste, on peut se sentir démunis malgré tous les moyens annexes déployés. Dans le cas d’un décès, je peux me consoler lorsque tout s’est déroulé calmement et l’enfant part « apaisé » entouré de sa famille. Évidemment, un décès nous impacte toujours tellement. Mais on doit continuer à travailler. C’est difficile de réceptionner cette douleur qui nous arrache le cœur, cette détresse qui dévaste la famille. Ce n’est pas la chaine normale de la vie qu’un enfant décède avant ses parents. Le plus dur à gérer c’est lorsqu’on est sur une fin de vie dans une chambre toute calme et l’autre patient juste à côté va bien, il faut danser, chanter. Le saut est très dur. Il faut sans cesse s’adapter, avoir une autre attitude à changer, revenir plein d’énergie et de positif.
Après un décès, votre activité perdure ?
J.R.: Oui, je fais aussi le suivi de deuil dans le cadre du programme du GPS. Une présence qui se prolonge, l’enfant est décédé nous lui avons dit au revoir…Mais pour les parents cette perspective est inimaginable. Nous proposons de rester en contact, de se rencontrer avec 3-4 soignants et la famille, c’est moins intimidant que d’être seul. A la mémoire des enfants, on va prendre un café, on va faire une promenade de chien, on parle durant ce moment. Pour la plupart l’hôpital reste un lieu traumatisant où ils ne veulent plus mettre un pied. C’est trop remuant.
Que partagez-vous avec ces parents après le décès de leur enfant ?
J.R.: Il arrive qu’ils prennent des distances avec l’entourage. Car on leur dit que ça va aller, que le temps atténuera leur souffrance. La société trouve normal de passer par une phase de deuil, mais après un certain temps, les autres ne comprennent pas forcément que la souffrance perdure. Et pourtant, elle perdure toujours… peut-être différemment selon le moment, les périodes ou les jours…
Mais rassurez-nous de plus en plus d’enfants guérissent du cancer?
J.R.: Un jour, une petite malade m’a demandé si beaucoup d’enfants qui ont eu des cancers meurent ? Je lui ai répondu que de patients qui guérissent, il y en a tellement ! Voilà pourquoi on se souvient de chacun de ceux qui sont partis trop tôt…Car il y en a peu par rapport à ceux qui guérissent.